Il y avait dans la goutte de pluie qui s'abandonnait le long de cette branche chétive à la triste sinuosité déclinante une puissante force vitale rassérénant l'âme. Cette force emplissait l'être contemplatif d'une sensation inégalable de plénitude bienfaisante.
Le silence de la campagne environnante n'était perturbé que par le léger clapotis que produisait la fine pluie matinale se répandant sur les reliefs alentour et par le bruissement à peine perceptible du vent dans les lambeaux de végétation que l'hiver avait bien voulu laisser subsister. Pas la moindre manifestation humaine ou animale ne venait troubler cet instant de recueillement, empreint de méditation nostalgique, à la vue du spectacle simple et éternel de cette goutte de liquide limpide et vive qui épousait en toute confiance la tutelle relative d'une écorce sursitaire. La fraîcheur de l'atmosphère ne parvenait pas à distraire son attention de ce mouvement lent et naturel, solidaire et pourtant inéluctable.
La brume, au loin, par l'enveloppement des horizons imaginés de sa noirceur tourmentée, conférait au paysage un air de crépuscule d'humanité, ce qui renforçait encore l'impression d'extraordinaire inhérente à l'instant. Au Nord, une petite forêt de pins, à peine clairsemée, accentuait l'aspect mystérieux de l'ensemble, comme si quelque peuplade viking conquérante ou quelque sorcier aux pouvoirs redoutables allaient soudain surgir de leur cachette dans un grondement de fureur dévastatrice, avec pour seule ambition de sceller définitivement le sort de ce vieux monde.
La goutte de pluie s'approchait à présent de l'extrémité de sa branche porteuse et le moment où elle s'en détacherait brutalement pour aller se perdre dans le néant constituerait une rupture somme toute acceptable, une sœur jumelle prenant aussitôt le relais afin de perpétuer l'abstraction du témoin.
Plongé dans la contemplation de ce mouvement perpétuel, l'homme ne ressentait plus l'engourdissement conquérant de son corps, tout accaparé qu'il était par cette communion intense de l'esprit avec les manifestations de Dame Nature. Il fixait imperturbablement ces existences éphémères, ces êtres purs et cristallins qui, à peine éclos sur leurs ramifications de fortune, s'en allaient choir dans l'oubli et l'indifférence, seules récompenses de la virginité de leurs âmes.
C'est alors que lui revint en mémoire cette fin de journée d'été à la campagne, trente années auparavant.
Il avait chaud, très chaud même, comme il peut faire chaud parfois dans le Sud-Ouest en plein cœur du mois d'août. Ses genoux couronnés de mercurochrome témoignaient des exploits récents du guerrier sans peur et sans reproches qui l'avaient vu successivement combattre une horde de peaux-rouges belliqueux, un vieux vélo rouillé en guise de monture et un morceau de bois justement façonné par la nature pour toute arme à feu, mais aussi courir à perdre haleine à travers champs et allées, zigzaguant entre les meules de foin pour échapper aux espions de l'autre camp qui l'avaient retenu prisonnier et torturé pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, ou encore tomber foudroyé sur le gravier blanc et inhospitalier sous les tirs nourris de l'armée ennemie envahissant les territoires imaginaires de son empire incommensurable...
 



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